Cette dernière décennie, de nombreuses études ont mesuré l'impact de la pilule contraceptive sur... les poissons. En effet, en étant évacuées dans les urines des femmes, les hormones sexuelles que sont les œstrogènes rejoignent les milieux naturels via les systèmes des eaux usées. Et là, après ingestion, elles féminisent les poissons mâles !
Les composants de la pilule sont loin d'être les seuls produits fabriqués par l'homme qui se retrouvent dans les cours d'eau ou les lacs. Depuis quelques années, l'ajout de nanoparticules, que ce soit dans les lessives, les produits cosmétiques – dont les crèmes solaires –, certains médicaments et même dans la nourriture, est en nette augmentation... et par conséquent leur "relargage" dans l'environnement aussi. Pour rappel, les nanoparticules sont des objets dont la taille est inférieure à 100 milliardièmes de mètre. Même si les différentes industries qui les utilisent les jugent inoffensives, les nanoparticules présentent des propriétés physiques spéciales et notamment la particularité, une fois entrées dans un organisme, d'agréger à leur surface une espèce de couronne, un enrobage de protéines. Parmi elles, on retrouve souvent des apolipoprotéines, qui jouent un rôle important dans le traitement des lipides par l'organisme de nombreux animaux (y compris chez les humains).
La question est donc de savoir si les nanoparticules sont capables, en entrant dans le régime des poissons, de perturber la manière dont ceux-ci "brûlent" leurs graisses. Dans une étude publiée dans la revue en ligne PLoS ONE le 22 février, une équipe suédoise de l'université de Lund répond par l'affirmative. Pour le déterminer, ces chercheurs ont tout simplement reconstitué une chaîne alimentaire en laboratoire. Ils ont commencé par cultiver des algues microscopiques dans une eau contenant un peu de nanoparticules de polystyrène (concentration de 0,01 %). Le jour suivant, ils ont introduit des daphnies dans le système, qui sont de tout petits crustacés herbivores. Une fois que ceux-ci se furent nourris d'algues, les chercheurs les ont récupérés et lavés, pour être sûrs que seules subsistaient les nanoparticules transitant par l'intérieur des aliments. Le troisième jour, donc, ce zooplancton a été donné en pâture à des carassins. Tous les trois jours, le cycle recommençait et des comparaisons étaient faites avec un groupe témoin de poissons sans nanoparticules.
Les premiers changements dont l'étude rend compte concernent le comportement des carassins. Au bout de 18 jours, les chercheurs ont mesuré le temps que ceux-ci mettaient à manger les daphnies. Le groupe à nanoparticules mettait plus de deux fois plus de temps à les attraper que le groupe contrôle. Les scientifiques se sont aperçus que les individus du premier groupe nageaient moins vite, chassaient moins et semblaient comme apathiques. Les chercheurs ont même été frappés de voir des crustacés entrer dans la bouche des carassins et en sortir sans être mangés, comme si les poissons n'avaient plus faim. Et ce alors même que la dose de nourriture qui leur était fournie était insuffisante puisque l'expérience visait à surveiller la manière dont les stocks de graisse étaient exploités chez les poissons ayant absorbé des nanoparticules. Par conséquent, tandis que les poissons du groupe témoin, tout en mangeant, maigrissaient et métabolisaient leurs lipides pour supporter le jeûne, ceux du groupe test, en se nourrissant moins mais en se dépensant aussi moins, arrivaient même à gagner un peu de poids au terme des cinq semaines et demie d'expérience. La faute revient sans doute à l'accumulation des nanoparticules qui, en attirant à elles les apolipoprotéines, les ont détournées de leur tâche dans la mobilisation des réserves de graisses.
Selon les auteurs de l'étude, il s'agit de "la première fois qu'un lien est montré entre la couronne de protéines et un effet sur le métabolisme et sur le comportement d'un organisme ainsi que sur sa fonction au niveau de l'écosystème." Effectivement, si le prédateur devient anorexique et cesse de chasser, l'équilibre de l'écosystème en sera modifié. L'article de PLoS ONE ne précise cependant pas à partir de quelle concentration les nanoparticules agissent sur les poissons et il ne dit pas non plus quelle est la concentration moyenne de ces nanomatériaux dans la nature. Ce travail reste néanmoins intéressant en raison de sa méthodologie : en connaissant uniquement la composition de la couronne de protéines enrobant les nanoparticules, il est possible de faire des hypothèses sur l'effet que celles-ci auront sur les êtres vivants qui les auront absorbées, et de les tester. La nanotoxicologie, une discipline émergente qui vise à identifier les risques sanitaires que font courir les nanoparticules (et ceux qui les fabriquent), a un bel avenir devant elle. Le 29 février, l'Association Force ouvrière consommateurs s'est d'ailleurs inquiétée des délais existant entre la mise sur le marché de produits contenant des nanomatériaux et l'évaluation de leur toxicité ou non.
Post-scriptum : je découvre, au moment de publier ce billet, une autre étude, parue le 12 février dans Nature Nanotechnology, montrant que l'exposition à de hautes doses de nanoparticules de polystyrène perturbe l'absorption et le transport du fer par l'organisme, cette fois chez des poulets.
source : LeMonde.fr par Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter)